Mme Saliou bat la campagne (07/04/2016)
Je viens de lire le dernier numéro de Famille et Education, que la cotisation que l’Apel prélève d’office sur les frais de scolarité me donne le privilège de recevoir. Mais cette revue en couleurs quatre-vingt-six pages qui s’intitulait autrefois la Nouvelle Famille éducatrice a manqué de place pour un encart consacré à la réforme du collège. Par contre, on a réussi à y caser, outre son éditorial, un entretien de trois pages avec Mme Saliou, commanditaire du journal en qualité de présidente de l’Apel, illustré d’une photographie pleine page en tailleur fuchsia. C’est ce qui s’appelle du journalisme d’investigation !
Certaines personnes ont si bien pris l’habitude de parler pour ne rien dire qu’elles ne se rendent même plus compte que, parfois, les mots disent quelque chose, même sans qu’on le fasse exprès. C’est ce qu’une rapide analyse de texte va montrer.
Mme Saliou déclare que « la présidente de l’Apel doit être au service de toutes les familles qui inscrivent leur enfant dans l’enseignement catholique », et se dit « convaincue de la nécessité d’aller à leur rencontre, en métropole et outremer ». Comme ça, on sait que l’argent des cotisants ne sert pas seulement à publier un magazine en couleur, mais à payer des voyages à la présidente, jusque sous les tropiques. Toutefois, lorsqu’elle a rendu visite à M. Bauquis, elle n’a pas profité de l’occasion pour aller à la rencontre des parents d’élèves du Sacré-Cœur de Sévérac-le-Château (qui lui avaient pourtant payé le voyage). Drôle de façon d’être au service de toutes les familles !
« J’attache également beaucoup d’importance au dialogue confiant et constructif que nous menons avec l’enseignement catholique. Il nous permet, là aussi, de mener des projets en commun. » On ne peut avouer plus naïvement que l’Apel est un simple organe de l’administration de l’enseignement catholique. M. Balmand, secrétaire général, peut faire confiance à Mme Saliou : ce n’est pas elle qui abordera les sujets qui fâchent. Elle a un esprit constructif.
« Quand les parents d’élèves sont positifs et constructifs, ils peuvent participer à la vie de l’établissement et être force de proposition. » Mais qui juge du caractère positif et constructif de leur attitude ? Si on est au service de toutes les familles, on est au service des béni-oui-oui comme des empêcheurs de tourner en rond. Dans l’esprit de Mme Saliou, refuser la suppression arbitraire d’une école, ce n’est pas constructif. Il ne faut pas en parler. Protester contre la présence du Planning familial dans les écoles catholiques, ce n’est pas positif. Il ne faut pas en parler non plus. Quatre-vingt-six pages de magazine en couleur n’y suffiraient d’ailleurs pas !
« La défense de la liberté de choix de l’école est incontestablement notre raison d’être fondamentale. » Voilà une phrase exacte. C’est assez rare pour être noté. Ce qui reste à démontrer, ce n’est pas que l’Apel a une mission, mais qu’elle la remplit incontestablement.
« Le choix d’une école dont nous soutenons clairement le caractère propre, autrement dit une proposition éducative nourrie par l’Evangile. » Mme Saliou a tort d’abuser des adverbes : elle en ajoute partout où ses dires ne sont ni clairs, ni incontestables. C’est bien de soutenir le « caractère propre » de l’école catholique. Ce qui n’est pas clair, c’est le contenu précis de ce caractère. Soutenir clairement quelque chose qui n’est pas clair, c’est louche. Quant à la « proposition éducative nourrie par l’Evangile » qui est censée résumer l’esprit de la chose, il est assez difficile d’en tirer la moindre indication pratique.
« C’est notre choix, renforcé par notre vision d’être les “premiers et ultimes éducateurs” de nos enfants, qui nous rapproche et nous unit ». Que les parents soient les premiers et ultimes éducateurs n’est pas sa « vision » : c’est la doctrine catholique. Il y a d’ailleurs du progrès, car, traditionnellement, l’Apel et l’enseignement catholique répètent que les parents ne sont que les premiers éducateurs, induisant que l’école viendrait en second. Comme quoi la lecture de ce blogue a du bon. Mais corriger une expression trompeuse ne suffit pas : encore faut-il changer tout le raisonnement qui en découle. Car Mme Saliou ajoute : « Nous sommes également attachés à la notion de communauté éducative dont les Apel sont à l’origine, et qui permet aux familles d’être de véritables acteurs et partenaires de l’école. » Ces deux affirmations sont toutefois difficiles à concilier. En tout cas, la seconde nous apprend au passage que ce sont les Apel qui ont offert de remettre à l’école tout ou partie du rôle éducateur des parents. Mais s’ils sont les « premiers et ultimes éducateurs », c’est l’école qui doit être leur partenaire, et non l’inverse. S’ils sont les « premiers ultimes éducateurs », il n’y a pas d’autre communauté éducative que la famille – qui pourrait dialoguer avec une équipe enseignante, par l’intermédiaire, notamment, de l’Apel. Mais dès lors qu’on confond toutes ces parties sous le terme de communauté éducative, le dialogue se transforme en brouhaha ou en monologue.
« Le dernier statut de l’enseignement catholique, adopté par la conférence des évêques de France, reconnaît l’Apel comme unique association de parents d’élèves. » Invoquer le sacro-saint statut de l’enseignement catholique, c’est invoquer le néant. Ce statut, qui ne découle d’aucun article du droit canon, n’a rien de catholique. Il a été adopté par une conférence épiscopale qui, n’étant pas une instance hiérarchique, ne peut donc rien imposer ni aux évêques qui la composent, ni (à plus forte raison) aux laïcs, et encore moins user de droits qu’aucun évêque ne détient, et que mille évêques réunis pendant mille ans ne détiennent donc pas non plus.
« Je souhaite que les Apel accompagnent le mieux possible la mise en place dans les établissements de la nouvelle charte éducative de confiance qui résulte d’une réflexion commune de l’Apel et de l’enseignement catholique. » On termine en beauté ! Après avoir proclamé que les parents sont les « premiers et ultimes éducateurs », on leur propose (pour ne pas dire qu’on leur impose) une charte de confiance. Or ne serait-ce pas plutôt aux établissements de signer une charte, afin que les parents puissent y inscrire leurs enfants en toute confiance ? Une charte est un document qui limite les prérogatives de celui à qui on confie un pouvoir. Ceux qui détiennent ce pouvoir sont les parents, qui peuvent déléguer à l’école, sous leur propre responsabilité, une part de leurs prérogatives. En l’espèce, il ne s’agit pas d’une charte, mais d’un acte d’abdication. Ceux qui ne la signeront pas se verront-ils refuser l’inscription de leur enfant, bien qu’elle contienne des articles auxquels un bon catholique n’est nullement tenu de souscrire ?
J’en ai terminé. L’exercice était un peu long, mais nécessaire. Car, grâce à la réforme du collège que Mme Saliou a approuvée, la quantité d’inepties écrites dans un style aussi vaseux va croître ; mais ceux qui seront capables de les décrypter va décroître.
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