L’enseignement, liberté fondamentale ? (12/05/2016)
On voit bien quelle double intention trahit la lettre de M. Balmand au président de la république. Il tâche de se poser en défenseur d’un enseignement hors contrat jusqu’alors tenu en mépris et en suspicion ; c’est un moyen de prendre la pose, de faire le malin et de détourner l’attention des reproches qui lui sont faits. Et aussi de défendre son bout de gras. Car c’est bien la liberté de l’école sous contrat qui est en jeu, en dépit du mauvais usage qui en a été fait. Mais M. Balmand a-t-il raison d’affirmer que l’enseignement est une « liberté fondamentale » ?
Oui, la liberté d’enseignement est « fondamentale ». Mais est-elle vraiment reconnue comme telle dans la loi, et surtout, comme M. Balmand l’affirme, « consacrée par la constitution » ?
Elle fait certes partie des onze « principes fondamentaux reconnus par les lois de la république » définis par le Conseil constitutionnel. Cette notion apparut dans la loi de finances du 31 mars 1931 (art. 91) précisément pour caractériser la liberté d’enseignement. Elle fut reprise dans la constitution de 1946 justement pour éviter que cette liberté ne figure en toutes lettres dans le préambule du texte. Elle n’y figure donc pas. Pas terrible, comme « consécration ».
Le préambule de la constitution de 1958 fait référence à celui de la précédente, et une décision des juges constitutionnels du 16 juillet 1971 a donné force constitutionnelle à ces « principes fondamentaux ». Ils font donc partie du « bloc de constitutionnalité ». Mais l’existence de ce « bloc de constitutionnalité », né de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, suscite les critiques contre le « gouvernement des juges ». Car ces juges reconnaissent des droits qui ne figurent pas dans les constitutions adoptées par référendum.
En 1977, le Conseil constitutionnel a invoqué le principe de liberté d’enseignement pour déclarer la loi Debré de 1959 (modifiée en 1971) conforme à la constitution. Ce qui lui était alors reproché était de financer les écoles privées. Mais il faut préciser que cette loi (qui porte le nom de l’auteur de la constitution) a en fait subrepticement réintroduit la notion de monopole de l’Etat sur l’enseignement, n’accordant à l’école privée qu’une existence subsidiaire, en cas de « besoin reconnu ».
Ainsi, en 1984, la majorité qui projetait la nationalisation de l’école privée n’a pas semblé craindre un veto constitutionnel. Pas plus que le passage d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation ne semble faire craindre un tel veto.
Dans son arrêt de 1977, le Conseil constitutionnel cite le préambule de la déclaration des droits de l’homme de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. » Or, de plus en plus de lois concernant les mœurs contredisent les principes moraux catholiques et la conception chrétienne de l’homme. Les programmes d’instruction civique et de sciences naturelles, qui s’imposent aux écoles sous contrat, présentent ces lois comme des progrès et des évidences. Jusqu’à quel point un enseignement religieux (si rare et confidentiel qu’il soit), qui devrait en principe conduire à considérer ces lois d’un œil critique, sera-t-il toléré à l’intérieur d’établissements financés par l’Etat ? Dans combien de temps une loi existante ou à venir condamnant les « discriminations » amènera-telle à considérer qu’il s’agit d’un « trouble à l’ordre public » ?
La notion d’« ordre public » est douée d’élasticité : c’est un avantage pour le gouvernement qui l’invoque. Le concept de « caractère propre » est vague : c’est un inconvénient quand on a besoin de le défendre.
M. Balmand écrit : « Si nulle liberté ne peut être absolue – notamment au regard de l’ordre public –, les restrictions que souhaite y apporter l’Etat ne sauraient être que clairement proportionnelles à l’objectif poursuivi. » Reste à déterminer quel est cet objectif. Interdire les écoles privées ne serait pas facile. Cesser de les subventionner n’est pas difficile. M. Balmand ne veut pas parler des menaces qui pèsent sur les contrats par suite (entre autres) de la réforme du collège. Il veut faire croire que les renoncements et les compromissions de l’enseignement catholique ont été payés de retour. Ce qu’il craint par-dessus tout, c’est qu’on change quoi que ce soit. Alors, pour détourner l’attention et se donner bonne mine, il plaide la cause des écoles hors contrat.
Il a raison d’appeler à « la plus extrême vigilance ». Vigilance dont le secrétariat général, par erreur ou par calcul, n’a pas fait preuve en 1959, lors du vote de la loi Debré. Si M. Balmand prend la peine de rappeler le principe « fondamental » de liberté d’enseignement, c’est que ce principe n’est pas aussi solide qu’on le croit.
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