Dans les coulisses du spectacle (04/10/2016)

L’histoire édifiante que je raconte n’est pas encore terminée. On pourrait la résumer ainsi : Saint-Louis et Saint-Charles sont dans un bateau. Saint-Charles tombe à l’eau. Qu’est-ce qui reste ? Saint-Louis, bien entendu. Mais, pour que ça ne se voie pas, Saint-Louis a été rebaptisé Saint-Christophe. Comme dans tous les vaudevilles, le mécanisme est simple : la difficulté est qu’il faut qu’il reste invisible. Il ne le restera pas, car M. Canteneur a négligé un point, et là, on peut dire que c’est la faute à pas de chance : c’est que mes propres enfants étaient élèves à Saint-Louis !

Sixième épisode

J’avance pas à pas, pour que chacun comprenne bien le mécanisme de l’entourloupe exemplaire que je raconte. Et pour laisser à chacun le temps de me dire si je me trompe. Mais, pour l’instant, je ne reçois que des messages qui confirment mes dires.

Résumons-Nous. Nous avions à Vaugirard deux écoles catholiques : Saint-Louis, au style et aux méthodes classiques ; et Saint-Charles, qui pratiquait la pédagogie du P. Faure. Entre les deux, il fallait choisir, et c’était une excellente chose que les familles eussent un véritable choix. Or, il advint que Saint-Charles devait fermer.

A Saint-Louis aussi, les parents étaient inquiets, mais pour d’autres raisons : depuis des années, les bâtiments exigeaient d’importants travaux et l’argent manquait. Allait-on devoir fermer l’école ? La raser pour en reconstruire une autre ? Quand il avait fallu repeindre le réfectoire, les parents s’étaient relayés pour le faire de leurs propres mains, en sortant du travail.

Que de tracas ! Pour les parents, pas pour la direction diocésaine. Pour celle-ci, la conjonction de ces deux événements fut au contraire une aubaine. La disparition de Saint-Charles allait permettre d’augmenter le nombre d’élèves de Saint-Louis. Et, comme les religieuses qui possédaient l’école en vendaient le terrain, à un endroit où c’est une denrée qui vaut de l’or, il y avait un joli coup à faire.

Pour le réussir, la condition essentielle était de donner l’illusion que ce mariage de la carpe et du lapin était possible. Pour soutirer aux religieuses l’argent nécessaire (qu’elles n’étaient nullement tenues de donner), il fallait leur faire croire que leur œuvre serait poursuivie. Et pour que les parents de Saint-Charles inscrivissent leurs enfants à la nouvelle école Saint-Christophe, il fallait leur faire croire que la pédagogie qui leur était chère y serait toujours à l’honneur. En somme, que Saint-Christophe serait Saint-Charles sous un nouveau nom.

M. Canteneur a employé toutes les ressources du langage écrit et oral pour entretenir cette illusion. Mais ce n’est pas tout : il a pris soin de faire en sorte qu’au moment où les parents se rendraient compte de la manœuvre, il fût trop tard pour inscrire ses enfants ailleurs. Car les élèves sont une matière première dont il a besoin.

Tout cela n’était pas loyal et faisait peu de cas des désirs des parents (dont la direction diocésaine n’a cure). Mais le résultat de l’opération est que la nouvelle école Saint-Christophe n’est autre que Saint-Louis sous un nouveau nom. Les parents de Saint-Louis sont contents : en l’état actuel des choses, les locaux sont ceux de Saint-Louis (refaits à neuf), le règlement est celui de Saint-Louis, le projet pédagogique est celui de Saint-Louis, la directrice est celle de Saint-Louis. Et les parents de Saint-Charles n’ont plus que leurs yeux pour pleurer.

Les parents de Saint-Louis sont contents, et une mère de famille me confiait : « Ceux de Saint-Charles ont été d’une naïveté incroyable ! » Ils sont contents, mais pas cyniques, car elle ajoutait, en parlant de M. Canteneur : « Je ne comprends pas comment un type pareil a pu devenir directeur diocésain. »

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