Le décret empoisonné (23/11/2016)

A la demande de l’association Soutien aux écoles libres (que j'en profite pour remercier), j’ai écrit un article à propos du décret de Mme Vallaud-Belkacem, déjà publié sur le site de cette association mais que je me permets de republier tel quel ici, où il a aussi sa place.

Le 28 octobre dernier, le ministre de l’éducation a signé un décret, paru au Journal officiel le 30 et entré en vigueur le lendemain. La notice de ce décret « relatif au contrôle de l’instruction dans la famille ou dans les établissements d'enseignement privés hors contrat » dit qu’il « précise les modalités du contrôle du contenu des connaissances requis ». A première vue, il est bien succinct pour un texte qui entend apporter des précisions. Il doit pourtant bien changer quelque chose, puisqu’on a pris la peine de le rédiger.

Jusqu’à présent, l’inspecteur pouvait s’assurer que le directeur et les enseignants des écoles hors contrat disposaient des titres requis, qu’étaient respectés l’obligation scolaire, l’ordre public et les bonnes mœurs, ainsi que les règles sanitaires et sociales ; et vérifier d’autre part que l’enseignement dispensé était conforme au droit à l’instruction garanti à l’enfant et répondait « aux normes minimales des connaissances requises à l’issue de la période d’instruction obligatoire ».

Les exigences du « socle commun »

Le décret dit en premier lieu que « l’acquisition des connaissances et compétences est progressive et continue dans chaque domaine de formation du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et doit avoir pour objet d'amener l'enfant, à l'issue de la période de l'instruction obligatoire, à la maîtrise de l'ensemble des exigences du socle commun ». Cela semble bien anodin, mais ne l’est pas. La loi prévoit en effet que les établissements privés « préparent leurs élèves aux examens officiels afin qu’ils obtiennent les diplômes délivrés par l’État ». Pour préparer à ces examens, les écoles hors contrat ne sont toutefois pas tenues de suivre les programmes officiels. Les y contraindre créerait d’ailleurs une situation paradoxale. En effet, en échange de l’obligation de suivre ces programmes, les écoles sous contrat reçoivent des subsides publics. Si d’aventure les écoles hors contrat étaient soumises à la même obligation, elle seraient en droit de réclamer les mêmes avantages… Ou, à l’inverse, on pourrait se demander pourquoi les deniers publics continuent de subventionner les écoles sous contrat !

Pour définir les « normes minimales » requises, le décret ne se réfère donc pas aux programmes, mais au socle commun de connaissances et de compétences – auxquelles on a ajouté : de culture – énoncé par le décret du 11 juillet 2006. Ce décret précise que, « bien que désormais il en constitue le fondement, le socle ne se substitue pas aux programmes de l'école primaire et du collège ; il n’en est pas non plus le condensé. » Il n’en reste pas moins fort détaillé. Si détaillé qu’il a paru utile de préciser qu’il « ne se substitue pas aux programmes » !

Remplacer la notion de « norme minimale » par la référence au « socle commun », c’est en effet préciser les choses. Mais c’est surtout fournir aux inspecteurs une arme redoutable. Jusqu’ici, tant qu’il n’enseignait pas une autre langue que le français, ou que la terre était plate, il était assez difficile pour un établissement d’être considéré comme en dehors de la norme minimale. Désormais, on pourra l’être si l’on commence une langue étrangère seulement au collège, ou encore s’il n’existe pas d’éducation sexuelle. A quoi il faut ajouter que ce socle commun ne se cache pas d’aller au-delà des seules connaissances : il implique de susciter l’adhésion à un certain nombre d’opinions ou, pour citer le socle commun lui-même, d’« attitudes » : le patriotisme français mais aussi européen, l’approbation des institutions telles qu’elles existent, l’envie de s’engager dans la vie civique, etc. Or, ne pas être patriote, désapprouver la construction de l’Union européenne, s’abstenir de voter ou se désintéresser de la vie civique ne sont pas des délits. Ces « attitudes » vont pourtant à l’encontre des objectifs du socle commun et peuvent donc mettre les élèves en faute. Quant à la compétence du travail en équipe, ne serait-il pas facile de la considérer comme inconciliable par nature avec l’instruction à la maison ?

Le respect des cycles d’enseignement

Cette référence au socle commun est donc redoutable. Et perfide, car elle conduit insidieusement à l’obligation de suivre les programmes officiels. En principe, les écoles hors contrat sont en effet libres de préparer les élèves aux examens à la manière et au rythme de leur choix. Que faut-il donc penser de l’affirmation selon laquelle « l’acquisition des connaissances et compétences est progressive et continue » ? N’est-elle pas contradictoire avec le fait que le fameux socle commun ne doit être acquis qu’« à l’issue de la période de l’instruction obligatoire » ?

Le second article du décret lève cette ambiguïté: « Le contrôle de la maîtrise progressive de chacun des domaines du socle commun est fait au regard des objectifs de connaissances et de compétences attendues à la fin de chaque cycle d’enseignement. » Les examens ne suffisent-ils donc pas à vérifier que l’enseignement est conforme aux exigences du socle commun ? Dès lors que cette vérification peut désormais se faire à la fin de chaque cycle, ne faudra-t-il pas que les écoles hors contrat suivent ces cycles et, irrésistiblement, se rapprochent des programmes officiels ?

Des examens sauvages ?

En troisième lieu, le décret prévoit que « lorsque l’enfant reçoit une instruction dans la famille, le contrôle de l'acquisition des connaissances et compétences (…) se déroule sous la forme d’un entretien avec les personnes responsables de l’enfant soumis à l'obligation scolaire, le cas échéant en présence de ce dernier. Les personnes responsables de l'enfant précisent notamment à cette occasion la démarche et les méthodes pédagogiques qu'elles mettent en œuvre. L’enfant effectue ensuite des exercices écrits ou oraux... »

Pourquoi préciser notamment les méthodes pédagogiques, alors que les professeurs de l’enseignement public eux-mêmes sont, en principe, libres des leurs ? Comme on ne dit pas quelles méthodes sont valides, et lesquelles ne le sont pas, c’est un véritable traquenard tendu aux parents. Il s’agit en outre de faire subir à l’enfant un véritable examen, car on imagine mal un inspecteur inventer à brûle-pourpoint des sujets d’exercice après avoir pris connaissance de la démarche et des méthodes employées… Enfin, sur quoi se fonderait-on pour concevoir ces sujets à l’avance, sinon sur le socle commun et, en définitive, sur les programmes eux-mêmes, qui en découlent? Et qui les rédigerait, puisque le décret n’en précise pas le contenu ? Seraient-ils les mêmes pour tous ? L’inspecteur les corrigerait-il lui-même ? Ou sinon, qui, et avec quelles garanties d’anonymat ?

La question de soumettre l’école hors contrat et l’instruction à la maison aux programmes officiels a déjà été étudiée par le sénat en 1997 (il s’agissait alors de lutter contre les sectes). On a vu quelle situation paradoxale découlerait d’une telle mesure. Mais la commission du sénat soulevait de nombreuses autres objections. Notamment, soumettre les enfants à des examens supplémentaires, comme le prévoit le présent décret, constituerait une rupture d’égalité, puisque les élèves qui fréquentent les écoles publiques ou sous contrat n’y sont pas soumis avant le brevet.

Tout cela, comme on le voit, est assez subtil. Mais ce qui est sûr, c’est que ce décret fort elliptique n’a pas vraiment pour but de « préciser » les choses : ce mot suggérerait qu’il s’agit de restreindre le pouvoir de contrôle, alors qu’il s’agit de l’étendre. Les école sous contrat redoutaient de se voir imposer les programmes officiels. On y est presque.

[Le site de l’association Soutien aux écoles libres : https://www.soutien-ecoles-libres.org/la-liberte-scolaire-a-nouveau-menacee-par-najat-vallaud-belkacem/]

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