La multiplication des preuves (20/05/2020)

Le tout premier roman policier, l’Affaire Lerouge, écrit par Gaboriau en 1866, invente ce qui sera un ressort essentiel de ce genre littéraire : l’accumulation de preuves finit par faire douter de la culpabilité du suspect. Et ces preuves finissent par raconter une histoire toute différente. C’est ce qu’on ressent en lisant l’analyse, ou plutôt la collection de faits établie par M. Villain.

Septième épisode

A la première lecture, ce document de sept pages écrit par un professeur de Saint-Jean confirme ce que susurrent les petits téléphonistes de Mme de La Guillonnière : le dossier de M. Clément est lourd, très lourd. A la seconde lecture, cette impression se dissipe.

D’abord, car aucun des cas qu’il cite n’a été relevé par l’audit. Et pour cause : il s’agit de personnes ayant quitté l’établissement, pour lesquels la notion d’urgence, si utile à la cause, n’aurait aucun sens. Ne s’ensuit-il pas que le dossier invisible doit contenir des faits à charge bien plus nombreux, ou encore plus graves ?

Or, M. Villain compte vingt-deux départs conflictuels en cinq ans, chiffre qu’il dit sans comparaison avec les « pires plans sociaux » qu’il a connus dans sa carrière. En admettant que M. Clément ait un caractère difficile, on peut supposer qu’il n’est pas le seul. Et qu’il arrive aux personnes les plus accommodantes d’être dans leur tort. Par conséquent, le nombre départs conflictuels ne saurait être égal au nombre de conflits qu’il a provoqués.

Ce nombre est-il élevé ? Toutes professions confondues, un quart des salariés changent d’emploi chaque année. Sur cinq ans, on aurait donc dû observer, statistiquement, un renouvellement complet du personnel. Comme cette rotation varie d’une profession à l’autre, je propose d’estimer le taux de départ annuel des professeurs à un sur dix, ce qu’on observe par exemple dans les bibliothèques, qui n’attirent pas à priori les personnalités les plus remuantes.

A moins que Saint-Jean ne connaisse une stabilité insolite (en contraste avec les méthodes brutales qu’on prête à M. Clément), il est raisonnable d’estimer que ces vingt-deux conflits ne concernent qu’un cinquième des départs.

M. Villain dit que « toutes ces personnes ont en commun d’avoir exprimé leur frustration, leur déception, leur souffrance, leur colère parfois ». Quoi de plus naturel ? Partir, c’est mourir un peu (et mourir, c’est partir beaucoup, mais cela nous éloigne du sujet).

Le départ du directeur de Notre-Dame de Grâce et de trois préfètes du collège, en juin 2016, sont sans doute la conséquence de l’arrivée de M. Clément en septembre 2015, comme l’observe M. Delpit, président de l’Apel de Paris : « Ceux qui étaient en désaccord avec les choix pédagogiques… avaient fait le choix de quitter l’établissement ».

Le départ de deux responsables de pastorale et d’un prêtre ne mérite pas non plus d’être relevé, Mgr Aupetit ayant salué « combien Saint-Jean de Passy met en œuvre un projet d’éducation chrétienne exigeant et enthousiasmant fondé sur l’Evangile », et souligné que l’affaire « ne remet aucunement en cause le projet pédagogique catholique mis en œuvre dans l’établissement ».

Pour tout potage, M. Villain ne développe (brièvement) que deux cas, dont celui de Mme Rivière (janvier 2018), elle-même accusée de harcèlement. Cet épisode a entraîné la parution d’un article dans le Parisien qui a donné à Mme de La Guillonnière l’occasion de déclarer : « Saint-Jean de Passy a pris un coup de fouet parce que M. Clément sait ce qu’il veut et qu’il avance. »

Au bout du compte, ce coup de filet ne ramène à bord que deux poissons, dont un non comestible. M. Villain parle de « violence » et de « brutalité » en général, mais dès qu’il s’agit d’un cas particulier, le pire qu’on trouve est une « impossibilité de discuter ».

Il écrit en outre que « ce qui s’est produit le 14 avril n’est que l’aboutissement d’une lente prise de conscience », la direction diocésaine et le conseil d’administration ayant été alertés « depuis plusieurs années », ce qui met à mal le caractère urgent de la mise à pied.

Il espère « avoir levé le doute sur la réalité de la brutalité du management », qu’il qualifie de « structurelle » ; par mégarde, car si elle est structurelle, le départ de M. Clément n’y portera pas remède, et l’affirmation que « ceux qui vivent bien à Saint-Jean sont majoritaires » paraîtrait mystérieuse.

Cette multiplication improbable de preuves éveille donc les doutes, plutôt qu’elle ne les apaise.

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