Noirs complots (28/06/2020)
Dans le fond comme dans la forme, l’article de Mme Pinilla du 16 juin résume l’état de l’éducation nationale, dont l’enseignement sous contrat a adopté servilement les formations et les méthodes. Il est organisé tout entier pour justifier une conclusion tirée d’avance : tous ceux qui défendent M. Clément ou commentent l’affaire sans accorder foi aux affirmations elliptiques de M. Canteneur sont des « complotistes ». Ce qui permet d’en tirer le syllogisme suivant : ils sont complotistes, donc il n’y a pas de complot.
Onzième épisode
Ce texte est conçu sur le modèle des indigents mémoires qui donnent accès aux grades universitaires, et qui justifient l’observation de M. Tercinier : « Si vous avez eu le bac avant la réforme Haby, vous avez largement le niveau bac plus six d’aujourd’hui. »
Mme Pinilla voit dans les réactions des défenseurs de M. Clément une manifestation de la « théorie du complot » : sans doute ce qui restait en rayon pour jeter le discrédit sur l’adversaire. Mais pour établir d’abord les faits, elle déclare que la décision de M. Canteneur était « la seule possible... et nécessaire », ce qui est une citation… de M. Canteneur ! Raisonnement tautologique qui lui permet de qualifier de « limpide » une déclaration qui restera obscure tant que les points de droit et de morale concernés ne seront pas indiqués, ni les noms des victimes dévoilés, ce dont elle se dispense : « Cet article n’a pas pour objectif de donner les éléments à charge. »
Ignorance ou discrétion, cette abstention est fâcheuse, car pour savoir si quelqu’un qui reçoit des lettres de menace est paranoïaque, l’examen des lettres est indispensable. Si elles sont authentiques, il s’agit bien de menaces. Si ce sont des offres d’achat de produits frais que le destinataire interprète comme des menaces, le soupçon de paranoïa se confirme. Et s’il les a écrites lui-même, elle se double de mythomanie. Mais Mme Pinilla néglige d’examiner l’arme du crime, ce qui lui permet de désigner d’emblée la victime comme coupable et ses soutiens comme saisis d’un délire « complotiste ».
En appelant à « ouvrir les yeux », Mme Pinilla invite à croire aveuglément les dires de M. Canteneur, dont la qualité de menteur n’est pas une « allégation » mais un fait prouvé. Elle ajoute, en parlant du présent blogue qu’elle indique comme « source » sans rien en citer de vérifiable, que « des soutiens s’en sont faits les relayeurs ». Atmosphère de mystère et de conciliabule (puisque tout complotiste est en fait un comploteur) qui prouve seulement que les soutiens de M. Clément cherchaient à connaître et faire connaître des faits plus précis que ceux que la direction diocésaine daignait distiller. Si du reste ce que j’ai dit est faux, que Mme Pinilla le prouve (ce sera une première). Si c’est vrai, ou qu’elle n’en sait rien (ce qui ne sera pas une première), c’est le mot « affirmation » qu’il fallait employer, et non « allégation ».
L’emploi de mots tendancieux est une méthode. En suggérant (en note) que l’éviction de la présidente de l’Apel serait due à des « calomnies », au lieu de parler de « diffamation », Mme Pinilla prend subrepticement parti, car cette substitution de mots évacue l’hypothèque qu’une partie des reproches (comme le fait de ne pas avoir averti le bureau de l’association) soient fondés (et ils le sont).
Pour Mme Pinilla, le fait que M. Canteneur ait agi pour les raisons qu’il avance, ou pour d’autres qu’il cache, ne change rien au fait que ceux qui doutent de ses dires sont des « complotistes ». On s’attend donc qu’elle commence par désigner les complotistes célèbres qui se sont faufilés parmi les soutiens de M. Clément, ou qui leur servent de référence. Mais comme il n’y en a pas, Mme Pinilla enchaîne, pêle-mêle, une foule de citations piochées ici ou là. Facile, car son métier est d’initier ses malheureux élèves à la méthode de l’« étude de document », inventée par le ministère pour purger les élèves des moindres germes d’esprit critique qui auraient pu les contaminer.
Pour y parvenir, elle se dispense de tout classement critique des sources, qui sont pourtant de deux sortes au moins.
D’une part, les déclarations de soutien, marquées par une émotion que les qualités de M. Clément (qu’elle cite avec abondance, tant les sources sont abondantes) expliquent, même si Mme Pinilla ajoute perfidement qu’elles lui sont reconnues aussi par des gens « qui ne le connaissaient pas »... certes, mais qui s’y fient avec d’autant plus de confiance que les témoignages contraires sont rares. Mieux : les adversaires de M. Clément les lui reconnaissent eux-mêmes ! Ces qualités ne sont donc pas des arguments, mais des faits admis par les deux parties.
L’émotion que ceux qui appréciaient ces qualités ont ressentie à l’idée d’en être privés est naturelle. Elle serait coupable si elle fermait la porte à toute analyse. Ceux qui déduisent que se priver d’avantages si éminents ne peut découler que de faits gravissimes, qu’ils cherchent à connaître, suivent une démarche logique. Mais Mme Pinilla insinue qu’ils sont seulement en quête d’« anecdotes croustillantes ».
Quoi qu’il en soit, comme on cache les faits, l’émotion grandit au lieu de s’éteindre, et Mme Pinilla se délecte. Elle affirme que le milieu catholique s’est ému avec une « disproportion inquiétante ». Or, une disproportion ne peut être évaluée qu’en comparant une chose (l’émotion soulevée) à une autre (la gravité des faits). Et comme ces derniers sont cachés, au regard de quoi peut-on observer une disproportion, surtout quand Mme Pinilla souligne qu’il s’agit d’un « établissement important », d’un « événement brutal » et de « faits graves » ?
Me voilà d’ailleurs sous le coup d’une accusation qui est aussi un barbarisme : l’« ironisation ». Oui, j’ironise, car si les faits qu’on nous cache sont vraiment graves, il suffirait de les dévoiler pour plonger les défenseurs de M. Clément dans confusion. Il est donc paradoxal de voir ses adversaires, stoïques, s’interdire de produire une preuve qu’ils détiennent, plutôt que de dissiper le soupçon qui les enveloppe.
Une seconde catégorie de sources se compose d’articles, de tribunes, de lettres ouvertes, dont les auteurs sont des connaisseurs du système, et dont quatre au moins (les lettre du supérieur des Chartreux et de M. de Cacqueray, les tribunes de MM. Nemo et Tranchant), sans préjuger nécessairement de l’innocence de M. Clément, voient dans cette affaire le symptôme d’une dérive de l’enseignement catholique en général. Passer du particulier au général, et inversement, est une démarche naturelle et par conséquent, dans l’univers clos de Mme Pinilla, hautement complotiste.
Elle se dégage donc du souci d’examiner la question. C’était la seule bonne occasion de parler de « complotisme », mais elle évite de s’y attarder. Pour réfuter le rapprochement de cette affaire avec d’autres, il faudrait en effet laver d’abord M. Canteneur du soupçon de préméditation. Tâche difficile dont elle fait l’économie.
S’étant affranchie de toute démarche analytique et critique, il ne restait plus à Mme Pinilla de se proclamer seule et ultime représentante de la « raison », pendant que ses adversaires, enfermés dans le grand sac du « complotisme », lesté de quelques autres accusations perfides, coulaient au fond du Bosphore. Alors, assise à sa table à ouvrage, elle a cousu bout à bout les lambeaux de « documents » disparates qu’elle avait découpés avec ses petits ciseaux, afin de former une ribambelle qui tient du cadavre exquis et du syllogisme à tiroir, pour aboutir à la conclusion suivante : ils sont tous complotistes.
Mais pas que. A l’époque où elle œuvrait sous le couvert de l’anonymat (d’où un parent d’élèves perspicace l’a tirée malgré elle), Mme Pinilla s’est cru permis d’accoler aux défenseurs de M. Clément toutes sortes de qualificatifs déplaisants et gratuits, en supposant que, dès lors qu’un d’entre eux faisait preuve d’un travers, tous étaient contaminés, par osmose ou capillarité.
Ils sont animés d’un « mépris de classe » que, pour donner une apparence savante à ses propos, elle qualifie pompeusement de « concept » (dans une note – d’ailleurs bancale – destinée aux imbéciles qui ne l’auraient pas compris) ; ils véhiculent des relents d’« homophobie » ; certains sont en proie à un « lyrisme exalté ». Ils sont donc à la fois bêtes, méchants et dérangés.
La démarche d’autorité et l’appel à une « raison » dont elle s’est attribué le monopole suffisent sans doute à berner des mômes rendus idiots par des exercices scolaires rédigés sous forme de textes à trous. Ici, ils s’accompagnent d’un gros appareil de notes (pas moins de trente-sept) qui donne une apparence de recherche scrupuleuse, mais dont le but premier est de camoufler l’absence de critique des sources par l’auteur, et le but subsidiaire de faire croire au lecteur qu’on lui donne les moyens de se faire une opinion, ce que cette surabondance rend illusoire, à dessein.
A l’issue de cet enchaînement d’aphorismes douteux et de conclusions abusives, Mme Pinilla estime s’être efforcée de montrer « l’irrationalité de certains arguments ». Mais ça ne suffit pas : il faut démontrer l’irrationalité de tous. S’il existe mille fausses preuves réfutables, la mille et unième n’en est pas moins probante, tant qu’elle n’est pas réfutée. Sauf si le but n’est pas de faire jaillir à la vérité, mais de discréditer les témoins.
Dans un lourd balancement rhétorique, Mme Pinilla se lance à son tour dans les généralisations, et résume les deux maux qui rongent l’enseignement catholique : l’erreur et le déni. Tous les deux sont du même côté. L’erreur est le « management déplorable » de M. Clément. Le déni est le fait de ses soutiens… qui pourtant réclament à cor et à cris non pas qu’on cache les faits, mais qu’on les expose !
En somme, le plan est confus, les faits sont discutés à sens unique, et résultat : la conclusion ne découle pas du développement. Mme Pinilla constate en effet sans surprise l’existence d’une « théorie du complot » qu’elle n’a pourtant prouvée que par des insinuations et des amalgames, et dont elle attribue la paternité à la mauvaise foi des défenseurs de M. Clément.
C’est bizarre, car elle avait avoué au début que « la raison majeure qui a laissé la place à une théorie du complot est l’expression générale des faits d’accusation », aveu lâché comme en passant, pour se donner un faux air d’impartialité. Mais il faut tirer la conclusion qui découle de ce fait « majeur » : c’est M. Canteneur le responsable. L’« expression générale » des faits d’accusation, par son caractère vague, a en effet laissé supposer que ces faits étaient bénins, alors même qu’on nous prie de croire qu’ils sont graves. Quel esprit malin pousse donc à continuer de les cacher ?
Tout cela n’empêche pas Mme Pinilla de dire qu’« il faut développer en nous un esprit de logique rigoureux » qui lui fait cruellement défaut, « accepter la confrontation avec ce qui ne va pas dans notre sens » sans aboutir à la conclusion que toutes les erreurs sont dans un seul camp, « chercher des contre-arguments » et non pas les inventer, comme elle le fait, pour les besoins de la cause, et surtout en prenant la peine d’examiner s’ils sont vrais ou faux. Et elle ose conclure que « le manque du sens du dialogue des collectifs est en cela révélateur », alors même que ces collectifs se heurtent depuis le début à la réponse donnée depuis le premier jour : c’est grave, mais on ne vous dira jamais à quel point.
Dans son désir de fayoter auprès de M. Canteneur (dont sa carrière dépend), Mme Pinilla s’est donnée des airs de compétence et d’impartialité bien mal imités. Mais dans son zèle, elle a étourdiment toisé, du haut de l’estrade qui lui sert de piédestal, des prétentieux, des hypocrites et des exaltés qui ne sont autres… que les parents de ses élèves ! Voilà qui ne manquera pas d’ajouter une pincée de sel à la prochaine rentrée.
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