Les directions diocésaines et l’administration de l’enseignement catholiques ne sont pas seulement des réseaux de carriéristes, méthodiquement noyautées dans ce but. Elles ne sont pas non plus seulement des instruments de domination d’écoles auxquelles on a systématiquement confisqué leurs libertés légitimes. Elles sont aussi des pompes à fric. La « fusion » des écoles Saint-Louis et Saint-Charles en offre un bel exemple. Voyons donc un peu d’où venait l’argent qui a financé cette opération.
Epilogue
Pendant des années, on a seriné aux parents de Saint-Louis que cette école paroissiale risquait de fermer : des travaux de mises aux normes s’imposaient, et il n’y avait pas d’argent. Puis, tout d’un coup, lorsque le projet de « fusion » avec Saint-Charles se précisa, l’argent ne manqua plus. Où M. Canteneur l’a-t-il donc déniché ? Il l’a pris, tout simplement… là où il était.
On se souvient qu’aux temps de disette, les parents de Saint-Louis avaient avaient été sollicités pour enduire et repeindre les murs de la cantine de leurs blanches mains. Mais, à l’occasion de l’absorption de Saint-Charles par Saint-Louis, aucun appel au don ne fut fait, aucune majoration de cotisation ne fut demandée. Et quand on contemple le résultat des travaux, qui ont transformé une sympathique école paroissiale en pesante casemate scolaire, on voit que l’argent n’a pas seulement coulé : il a coulé à flot. D’où est-il venu ?
L’opération d’enfumage menée par M. Canteneur n’avait pas pour seul but de dissuader les parents de Saint-Charles d’aller chercher ailleurs une école à leur convenance. Elle avait aussi pour cible les religieuses propriétaires des murs de cette école. Il fallait les persuader qu’en cédant à la direction diocésaine une partie du produit de cette vente, elle faisaient œuvre pie. On leur a donc chanté une jolie chanson, dont les paroles disaient : « Grâce à votre argent, nous continuerons votre œuvre. » Il n’en est rien, et il n’en sera rien : à l’école Saint-Christophe, rien ne subsiste de l’esprit de Saint-Charles. Ce n’est plus un esprit, c’est un ectoplasme.
La contribution des religieuse, ainsi obtenue par des méthodes qui s’apparentent à l’abus de confiance, n’était pas une simple obole : s’élevait, me dit-on, à un million d’euros environ. Mais cela ne suffisait pas. On a donc aussi fait appel à la fondation Stanislas pour l’éducation.
Pendant des années, en effet, M. Chapellier proposait aux parents d’élèves (dont je faisais partie) de majorer les frais de scolarité d’une contribution destinée à alimenter la fondation Stanislas. Il rêvait en effet de fonder un jour un grand collège d’excellence destiné aux enfants de la banlieue. Quelque chose qui aurait peut-être ressemblé au collège Alexandre Dumas de Montfermeil.
Autrement dit, l’argent ainsi obtenu des parents de Stanislas n’étaient nullement destiné à servir de fonds de secours pour les opérations politico-immobilières de la direction diocésaine. Mais, depuis que M. Gautier, ancien directeur diocésain, a évincé M. Chapellier pour prendre sa place, et que le directeur diocésain est M. Canteneur, son ancien adjoint et son petit protégé depuis qu’ils se sont connus au collège Saint-François-Xavier de Reims, les choses sont beaucoup faciles. Ces aimables copinages mettent de l'huile dans les rouages et, à l’occasion du beurre dans les épinards.
Reste à savoir si l’emploi de ces fonds est conforme à leur destination première. Le petit film qui présente cette fondation (où M. Canteneur apparaît en personne, tandis que M. Chapellier, initiateur du projet, n’est même pas cité) dit qu’elle a pour but de faire « découvrir aux élèves la joie profonde du don d’eux-mêmes et du service des autres », et de permettre aux anciens élèves de « mener à bien leurs actions humanitaires en France et dans d’autres pays du monde ». On y parle de « ceux qui sont plus fragiles » d’« élèves souffrant de handicaps », de la « création d’établissements d’enseignement dans des quartiers sensibles », de bourses pour les élèves « issus de familles modestes ou en situation difficile ». Bref, rien qui évoque spontanément la réfection complète d’une école du quinzième arrondissement de Paris. Rien qui fasse songer un instant aux élèves de Saint-Louis, école qui était d’ailleurs et compte rester (sous le nom de Saint-Christophe) un vivier de recrutement pour Stanislas. Le directeur de cet établissement y tient chaque année une réunion d’information, ce qu’il ne faisait pas à Saint-Charles. On peut donc se demander si un tel emploi des fonds est conforme à l’objet social de cette fondation.
Par contre, à Saint-Charles, les élèves « fragiles », « issus de familles modestes ou en situation difficile », ne manquaient pas : certains étaient même placés là par la justice et l’aide sociale à l’enfance. Pourquoi, dans ce cas, la fondation n’a-t-elle pas contribué à la survie de cette école ? Pourquoi l’argent, au lieu d’être mis au service d’un projet qui aurait pu mériter, sans abus de langage, le nom d’« humanitaire », a-t-il été mis au service des projets, pour ne pas dire des manigances, de la direction diocésaine ?
Autant de questions auxquelles M. Canteneur ne répondra pas. Il compte sur le profond silence et l’ombre épaisse qui entourent les affaires financières de la direction diocésaine. Silence qui ne demande qu’à être rompu ; ombre qui ne demande qu’à être dissipée.