Comme chacun a pu l’apprendre, Mme Macron a été professeur de français. Mais pas n’importe où : dans l’enseignement catholique. Et là encore, pas n’importe où : à Saint-Louis-de-Gonzague, rue Franklin. Qui ne tarit pas d’éloge sur elle… Un tel enthousiasme peut inspirer quelques réflexions sur la manière dont on recrute les professeurs de l’enseignement sous contrat.
Mme Macron a enseigné à la Providence, à Amiens, puis, à partir de 2007, à Franklin. Le premier de ces établissement jésuite a-t-il vu un inconvénient à voir un professeur nouer une liaison avec un de ses élèves – ce qui, soit dit en passant, est un délit passible de prison, de la part d’un adulte ayant autorité ? L’histoire ne le dit pas.
Quant au second, il a vu arriver Mme Auzière l’année même où elle est devenue Mme Macron. Ce changement de situation matrimoniale ne semble pas avoir troublé le directeur, M. Poupart, qui ne tarit pas d’éloges. Ainsi dans l’Express du 15 octobre 2015 : « C’était une prof exceptionnelle. Une femme d’une culture inouïe, joyeuse, enthousiaste, dynamique, attachée à obtenir de chaque élève le meilleur de lui-même. Un tourbillon ! Jamais blasée, jamais dans la routine. Quel bonheur d’avoir travaillé avec elle » ! Tout cela est sans doute vrai, mais, surtout, très bon pour les affaires de M. Poupart, qui en frétille de bonheur et se réjouit de la réclame dont il bénéficie.
Cependant, quand on lit les textes lénifiants que le secrétariat général et les directions diocésaines répandent à foison, il est dit que les professeurs, sans être obligatoirement catholiques, sont censés être « en accord » avec le « projet éducatif ». Avoir une relation charnelle avec un élève est-il « en accord » avec le projet éducatif de l’enseignement catholique ? Ou abandonner son mari et ses enfants… surtout quand le fait est public ? A vrai dire, ce projet est si fumeux qu’il est impossible de le dire. Mais c’est apparemment le genre de questions que le directeur de Franklin ne se pose guère. Notons simplement (au cas où M. Poupart souhaiterait transformer Franklin en établissement catholique) que les établissements sont censés « prévoir les moyens qui permettront de lier dans un même acte l’acquisition des connaissances, la formation à la liberté et l’éducation de la foi », cela en vertu d’une déclaration des évêques de France de 1969. Reste à savoir en quoi l’éducation à la foi était stimulée par l’exemple édifiant de Mme Macron.
Par contre, Mme Macron n’a pas manqué d’emmener ses élèves en cortège assister au spectacle donné par son second mari avec Luchini, ou visiter le palais de l’Elysée. M. Macron, ministre en exercice, a aussi été invité à prononcer des conférences.
Mais, au risque de le vexer, on peut dire pour la défense de M. Poupart que ce n’est peut-être pas lui qui a fait venir Mme Macron dans son établissement. Car le grand maître du recrutement des professeurs, c’est M. Tercinier, qui occupe à la direction diocésaine la fonction superfétatoire et même nuisible de directeur des ressources humaines. Je ne peux pas dire ce qu’il pense de ce cas particulier, mais je peux rapporter ce qu’il m’a dit de vive voix : « Nous préférons avoir de bons professeurs, plutôt que des professeurs catholiques. » Voilà une déclaration qu’il convient d’examiner.
En signant les contrats, l’enseignement catholique s’est engagé à ne recruter que les candidats reçus au concours organisé par le ministère : le C.A.F.E.P. La déclaration de M. Tercinier laisse entendre qu’il estime que ce concours recrute de bons professeurs, mais aussi de mauvais. C’est en soi un problème. Que le fameux « préaccord collégial » est censé régler, bien que ce ne soit pas sa vocation d’origine.
Rappelons que le C.A.F.E.P. est identique au C.A.P.E.S., à une différence près : c’est un concours d’aptitude et non de recrutement. Autrement dit, pour cent postes, le C.A.P.E.S. retient cent candidats, qui obtiennent donc chacun un poste dans le public. Par contre, le C.A.F.E.P. retiendra (par exemple) cent vingt candidats. Parmi eux, ceux qui auront pu se faire embaucher par un établissement privé verront leur concours validé, les autres en perdront le bénéfice. Ceux qui embauchent les professeurs sont, en principe, les établissements (les O.G.E.C.) et leurs directeurs : ce sont eux qui signent les contrats de travail.
Toutefois, la direction diocésaine s’est octroyé le droit de soumettre les lauréats à un « préaccord collégial », accordé par un jury de trois chefs d’établissements. L’opération (d’une légalité douteuse) consiste à éliminer les vingt candidats surnuméraires pour en ramener le nombre au nombre de postes à pourvoir. Les premier résultat est que le premier chef d’établissement à choisir a le choix entre plusieurs lauréats… Mais quand les quatre-vingt-dix-neuf premiers ont été casés, le dernier établissement à choisir n’a plus de choix que d’une seule personne, c’est mathématique.
En fait, l’objet initial (ou avoué) du « préaccord collégial » n’était pas de vérifier si les professeurs étaient capables, mais s’ils étaient en accord avec les valeurs de l’enseignement catholique. N’ayons crainte : ce temps-là est révolu, et, en la matière, Mme Macron, canonisée par M. Poupart, servira d’exemple à tous. Le préaccord collégial ne se soucie plus de ces conceptions d’un autre âge. Il n’est plus qu’un instrument de domination des directions diocésaines.
La preuve en est que ce double filtrage du concours et du préaccord ne suffit pas. Quand la direction diocésaine reçoit la liste des lauréats, elle commence par l’expurger à sa guise au moyen du préaccord, dont la « collégialité » garantit l’arbitraire. Que fait-elle alors ? La loyauté voudrait qu’elle la transmette en entier aux chefs d’établissements qui recherchent des professeurs, et pourraient alors exercer la liberté de choix que la loi leur accorde. Mais non, elle la garde par-devers elle. Et si un établissement cherche un professeur d’espagnol, au lieu de lui communiquer la liste complète des lauréats dans cette matière, elle lui en propose un seul. Et s’il ne convient pas, le directeur concerné doit dire à M. Tercinier pourquoi, et par écrit. Si, par exemple, M. Poupart, au lieu de sauter de joie, avait dit que Mme Macron ne pouvait convenir en raison du trouble ou du scandale que sa vie privée pouvait causer, il aurait commis un délit de discrimination, susceptible de poursuites en correctionnelle. Il est donc dangereux de contester. Ce qui n’arrive jamais, puisque, en tout état de cause, c'est de la direction diocésaine que dépend aussi la carrière des directeurs...
Au terme de ce processus obscur et complexe, une seule chose est sûre : la liberté de choix des établissements est anéantie.
Mais Mme Macron venait d’un établissement d’Amiens. Quand elle a été recrutée, elle menait une vie familiale normale. Il se peut qu’elle soit arrivée à Franklin par le simple jeu des mutations, car le secrétariat général a accepté de se soumettre aux règles de mutation en vigueur dans l’enseignement public, obligeant tous les établissements à se soumettre à ces règles nouvelles. Dans ce cas, la conclusion est la même : la liberté est anéantie.