Quand les écoles catholiques signèrent les contrats, à partir de 1959, elles crurent faire une bonne affaire. En échange d’obligations qui semblaient loyales, et surtout en échange d’argent, elles adoptaient les programmes édictés par le ministère. Près de soixante ans après, qu’en est-il ? Tout ce qui pouvait contrevenir à ce « caractère propre » qu’on ne s’était pas soucié de définir a pénétré, tout simplement… dans les programmes eux-mêmes ! Si bien que l’école sous contrat se retrouve dans une périlleuse situation de schizophrénie.
Quand les premiers contrats furent signés, les programmes officiels se composaient pour l’essentiel de matières dignes d’être enseignées. L’histoire était racontée de façon certes tendancieuse, mais avec doigté. Malgré la canonisation laïque de la bande à Voltaire et Rousseau, on se concentrait sur les « grands classiques », si bien que quelques auteurs chrétiens restaient visibles (pas trop quand même).
Suivre ces programmes ne semblait donc pas impossible, quitte à corriger l’apologie rampante de l’humanisme, de la réforme, de la philosophie des lumières et du laïcisme. Chose d’autant plus facile qu’à l’époque, les écoles libres disposaient de leurs propres manuels.
Mais, depuis, tout ce qui appartenait au domaine de la morale privée, de l’opinion et de la conscience a été purement et simplement intégré aux programmes eux-mêmes : l’allégement progressif de leur contenu intellectuel a été compensé par une densité idéologique croissante.
En histoire, la propagande est désormais ouverte. La chose est assez connue pour se passer d’exemple. Donnons seulement celui de la géographie en cinquième, qui porte sur le « développement durable », présenté non comme une hypothèse, ou une conclusion, mais comme un présupposé.
En français, on a généralisé l’approche thématique, qui permet de choisir les textes non plus selon leur valeur littéraire, mais selon leur adéquation au thème. Celui de « la question de l’homme dans les genres argumentaires », accompagné d’un choix habile des exemples fournis dans les manuels, revient à considérer l’histoire littéraire comme celle du progrès de l’humanisme. De même, le travail à partir de « documents » n’est pas au premier chef une méthode pédagogique, c’est un moyen d’orienter les débats par un choix habile des documents. Ça a si bien marché que l’habileté n’est même plus nécessaire !
Les questions morales, elles, sont font partie du programme de sciences naturelles, consacré tout entier, en quatrième, à « la transmission de la vie chez l’homme ». Notion plus riche que la simple « reproduction », et qui permet d’exposer les méthodes de contraception (à l’exception des méthodes naturelles) comme des acquis scientifiques et l’avortement comme une mesure d’hygiène publique. En guise de travaux pratiques, les capotes passent de main en main (scène vécue au collège Sainte-Elisabeth de la rue de Lourmel).
Enfin, l’instruction civique met en avant les conquêtes sociales et les libertés fondamentales que sont le divorce, la contraception, l’avortement, le « mariage pour tous », et demain l’euthanasie ou le libre choix du « genre ».
Cerise sur le gâteau, l’enseignement du fait religieux. Son premier effet pervers est de mettre toutes les religions sur le même plan, comme si toutes étaient de même nature, grâce par exemple au concept fallacieux de « religions du livre ». Mais le réflexe d’imitation de l’enseignement public est devenu si puissant que l’étude « des religions » a contaminé l’enseignement religieux lui-même. Scène vécue, là encore, au collège Saint-Vincent-de-Paul de la rue Bobillot : après la Toussaint, on n’avait encore parlé que de l’islam. Il ne s’agissait pas d’un cours d’histoire des religions… c’était la « pastorale » !
Les programmes imposés par contrat obligent donc les écoles catholiques à présenter comme évidentes des pratiques que l’Eglise considère comme des péchés. (Oups ! j’ai dit un gros mot.) Encore une scène vécue, au collège La Rochefoucauld, cette fois : une conférencière étant venue exposer la position de l’Eglise sur la contraception et l’avortement, des professeurs se plaignirent au directeur en disant : « C’est contraire au programme ! » On ne peut pas mieux dire.
Comment sortir de cette contradiction ? C’est simple : grâce au flou qui entoure le « caractère propre ». Après tout, les contrats permettent de conserver un « caractère propre »… ils n’y obligent pas ! Et les directives du secrétariat général n’encouragent guère à croire que l’adjectif « propre » serait un synonyme pudique de « catholique » !
Malgré cette apostasie rampante, la contradiction demeure. Qui le premier, du ministère de l’éducation ou de l’enseignement catholique, avouera qu’elle n’est plus tenable ? Selon toute vraisemblance, ce ne sera par le secrétariat général. Son plus grand souci est que rien ne bouge. Que personne ne se rende compte de rien. Que ceux qui sont lucide n’osent pas parler – ou ne soient pas entendus. Et que le château de cartes sur lequel il est assis ne s’effondre pas. Ce n’est pas gagné d’avance.