La loi Debré de 1959 a soulagé les parents des écoles catholiques d’une partie des frais de scolarité, mais au prix d’une mise sous le boisseau de la mission évangélique. Le système qui en a résulté fait le bonheur des carriéristes qui en ont pris en main l’administration. Toutefois, cette situation résulte d’un renoncement de l’enseignement catholique à ses propres « valeurs », ou plus exactement à la vérité, plutôt que d’un coup de force de l’Etat. Car, en fait, cette loi a fait échapper les écoles catholiques à un danger peut-être pire encore que l’étatisation : le cléricalisme.
Petite histoire d’une démission (2)
Au moment du vote de la loi Debré, le souci premier de l’épiscopat n’a pas été de défendre la liberté des écoles et encore moins les prérogatives des parents. Il a négligé de donner au « caractère propre » une définition précise, ou d’obtenir des garanties que les programmes à venir n’allaient pas inclure des doctrines ou des matières contraires à la foi et à l’enseignement de l’Eglise, ou de nature à usurper les droits des parents. Accepter les programmes tels qu’ils sont, c’est une chose ; accepter par avance ce qu’ils pourraient être à l’avenir en est une autre. Surtout dans un pays où l’école a l’instrument privilégié de la propagande gouvernementale.
Que demanda l’épiscopat ? Tout simplement que l’Etat lui verse une somme globale, qu’il se chargerait de distribuer lui-même aux établissements. Demande véritablement renversante, à laquelle, par bonheur, M. Debré opposa un refus catégorique.
Cette prétention à disposer des moyens financiers en dit long. Trahit-elle une nostalgie du temps ou le roi nommait lui-même les évêques et les abbés, ou de l’époque plus récente où les ecclésiastiques étaient devenus des fonctionnaires ? En tout cas, faute d’obtenir gain de cause, l’épiscopat a laissé prospérer une administration parallèle, connue sous le nom de secrétariat général, dont les directions diocésaines sont les filiales de fait. Pour donner à cet édifice les apparences d’une légitimité catholique, le secrétaire général est nommé par la conférence des évêques, laquelle s’est ainsi arrogé un droit qui ne lui appartenait pas (et pour cause : de droits, elle n’en a aucun). Puis chaque évêque nomme un directeur diocésain qui exerce des droits qui n’appartiennent pas non plus à l’évêque, comme de nommer les chefs d’établissements et même les professeurs.
Tout cela est absurde, monstrueux, illégitime et illégal. Mais ce n’est pas venu par hasard. Cela dénote, de la part de certains évêques, dignes héritiers des prétendues « libertés » gallicanes, que l’Eglise est considérée comme une administration plutôt que comme un corps. Ce que l’Etat a refusé à la conférence épiscopale, elle a cherché à l’obtenir autrement.
Résultat : la liberté est triplement confisquée. Confisquée aux évêques, qui ont dans les pattes un directeur diocésain qui tend à se considérer comme le subordonné du secrétaire général plutôt que de l’évêque du lieu. Confisquée aux écoles, à qui on attribue un directeur qui agira pour complaire à celui qui l’a nommé, le directeur diocésain, et non selon l’intérêt, l’histoire et la vocation propre à chaque école. Confisquée enfin aux parents, à qui on laisse tout juste le soin de tenir des éventaires à la fête de l’école et d’accompagner les enfants à la piscine, qu’on fait figurer à l’O.G.E.C. pour fournir un travail gratuit au lieu d’y exercer les responsabilités qui leur incombent, et qu’on fait cotiser à une association monopolistique qui approuve la moindre initiative du secrétariat général et en relaie les directives.
Ainsi le cléricalisme, chassé par la porte, est-il revenu par la fenêtre. Les parents sont les premières victimes de cette opération de grand banditisme. Pourtant, ils ne doivent jamais oublier qu’en ce qui concerne l’éducation des enfants, ce sont les familles qui sont l’Eglise. C’est à elles qu’est confiée l’éducation, comme le rite du baptême le montre et comme les papes l’ont rappelé.
Le sort de l’école catholique est entre leurs mains. C’est aux parents, en tout premier lieu, qu’il appartient de fonder des écoles vraiment catholiques. C’est aux parents d’exiger que l’école catholique sous contrat respecte leurs droits, et que chaque école s’affranchisse de la prétendue « tutelle » diocésaine, afin de retrouver en son évêque un véritable pasteur.
Un pasteur qui reconnaisse les écoles comme catholiques selon le seul vrai critère : la fidélité à sa mission, et non la sujétion à une administration.