Ce n’est pas sans regrets ni réserves que, le 31 décembre 1959, l’épiscopat français accepta la loi Debré. Mais les évêques imposèrent aux députés catholiques de voter cette loi, en dépit des zones d’ombre qu’elle comportait. Pourtant, certains estimaient que, compte tenu des circonstances, il aurait été possible d’obtenir un statut beaucoup plus sain. Ils ne furent pas été écoutés. C’est dommage car, en relisant les écrits de ceux qui ont critiqué cette loi, tel Mgr Puech, évêque de Carcassonne, on découvre la liste exhaustive des maux dont l’enseignement catholique souffre aujourd’hui.
Petite histoire d’une démission (1)
La conférence épiscopale accepta la loi Debré, mais certains évêques firent entendre des voix discordantes… et lucides ! Ainsi, Mgr Puech, évêque de Carcassonne, dans le bulletin de son diocèse, en août 1960, invitait les écoles chrétiennes à préférer leurs « raisons de vivre » aux « moyens de vivre ».
Pour montrer que la loi Debré conduisait à faire le choix inverse, il soulignait que « le caractère propre de l’enseignement donné dans les établissements libres catholiques n’est pas assez explicitement affirmé dans les textes. » Inutile d’insister sur ce point que j’ai souvent souligné. Précisons seulement que c’est le secrétariat général, plus encore que le ministère, qui a évité de donner à ce caractère propre le moindre contenu précis, qu’il aurait pourtant pu acquérir au fil du temps par jurisprudence, si l’on ose dire. Mais l’esprit du secrétariat général est un esprit de complaisance, pas de résistance.
Mgr Puech remarque aussi que cette loi « pose en principe que l’Etat est le seul maître d’école ». Et il ajoute : « Une telle conception, de tendance totalitaire, ne reconnaît à l’école libre qu’un rôle momentané de suppléance. » C’est tout à fait exact, car les contrats ne peuvent être signés que par les écoles qui répondent à un « besoin reconnu ». Reconnu par qui ? Non par un organe indépendant, mais par l’Etat lui-même, qui, en tant que signataire des contrats, se fait ainsi juge et partie et peut accorder ou non le contrat selon des critères arbitraires (puisque aucun critère objectif n’est énoncé dans la loi).
Et Mgr Puech regrette que « le droit des familles à disposer librement, sans charges supplémentaires, de l’enseignement de leur choix est méconnu et totalement passé sous silence ». En effet, l’esprit de la loi est d’aider les écoles catholiques à exister, mais sans les financer entièrement. Ce n’est pas accorder une vraie liberté scolaire. Et cela prouve que le législateur n’accordait aux écoles catholiques qu’un rôle supplétif, qu’il ne faisait que les tolérer, et que le libre choix de l’école n’était pas un droit fondamental pour les parents. La loi Debré consacre en effet l’idée que l’école est normalement publique et laïque, mais qu’on consent à financer en partie des écoles privées pourvu qu’elles répondent à un « besoin reconnu ». Autrement dit, pourvu qu’elles bouchent les trous à moindre frais pour les comptes publics… la différence sortant de la poche des parents, sans la moindre compensation fiscale (telle qu’elle existe par exemple pour les mutuelles de santé).
Toutes ces critiques étaient lucides. Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est que le « caractère propre » a été mis sous le boisseau. Mais ce renoncement s’est fait en vain : les freins au développement de l’enseignement catholique n’ont pas été desserrés : il existe un « accord tacite » qui limite ses effectifs à 20 % des effectifs d’ensemble. Pourquoi ? Sans doute parce que les listes d’attente qui s’allongent ne révèlent, aux yeux du gouvernement, l’existence d’aucun « besoin reconnu ». D’autre part, les moyens d’existence ont été chichement accordés : pendant vingt ans, il a fallu batailler ferme pour obtenir la réévaluation du forfait d’externat, ou pour rapprocher le sort des professeurs de celui des enseignant du public. Sans compter les sommes dues jamais versées, dont le secrétariat général a quelquefois fait remise gracieuse au gouvernement !
J’ai tenu à rendre hommage à Mgr Puech, car le triste spectacle que j’observe, je l’ai sous les yeux, tandis que cet évêque a eu la lucidité de le prévoir. Lucidité qui prouve en outre que ceux qui ont été aveugles auraient pu ne pas l’être. Ou que certains ont choisi délibérément la voie de la soumission.
En pure perte d’ailleurs, car, au bout du compte, l’enseignement catholique a perdu sur les deux tableaux. Toutefois, tout le monde n’est pas perdant dans l’affaire. Notamment, les gros bonnets qui, grâce à l’organisation d’une administration centrale de l’enseignement catholique, ont pu accéder à des réseaux de carrière inconnus jusqu’alors, s’échangeant les services en vue d’obtenir la direction des établissements prestigieux ou des sinécures influentes au sein des directions diocésaines ou du secrétariat général lui-même. Il n’est que de voir la mine satisfaite de M. Balmand, le secrétaire général : n’a-t-il pas l’air plus heureux là où il est que devant une classe de trente potaches ? Le « réenchanteur » a l’air enchanté. Tant mieux pour lui, et tant pis pour nous.
P. S. Après avoir rédigé cet article, je découvre que l’école des Sarments, à Carcassonne, est placée sous le patronage de Mgr Puech, ce qui est bien mérité. On trouvera sur le site de cette école une notice sur ce prélat et d’autres citations de lui (www.ecoledessarments.com/projet-educatif/l-association.html).