Est-il possible que, dans mon trop bref florilège des directeurs diocésains, j’aie oublié le délicieux M. Canteneur, directeur diocésain de Paris ? Ç’aurait été trop injuste. J’ai sous les yeux un de ses textes, qui mériterait une citation intégrale. Peut-être est-il trop riche en glucides pour qu’il soit permis d’en citer même quelques extraits le premier vendredi du carême ? Qu’on se rassure : je ne propose cette lecture qu’à titre d’exercice de mortification.
Où ai-je déniché ce joli morceau de littérature ? Dans ma boîte aux lettres, tout simplement, car il fait partie de la péroraison que M. Canteneur a offerte aux lecteurs du bulletin de l’Apel Paris, dont il était l’invité. Que venait-il faire là, sinon illustrer l’allégeance de l’Apel à une l’administration de l’enseignement catholique ?
En tout cas, l’exquis M. Canteneur sait y faire, et pas un mot ne manque : le mot « diversité », par exemple, apparaît trois fois. C’est le ministre qui doit être content ! Ne manque pas non plus la longue et oiseuse citation d’un franciscain : avec M. Canteneur, c’est tous les jours dimanche. Et comme la providence ne lui refuse rien, il a découvert un document rarissime : la lettre d’une mère d’élève demandant : « Pourquoi devons-nous accepter des enfants qui n’épousent pas la même foi ? » Quelle chance il a ! Ayant fréquenté huit écoles catholiques en tant qu’élève et quelques autres en tant que parent, je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui préconisât de les réserver aux seuls baptisés. Ce document précieux (si toutefois il existe) vaut de l’or. En réalité, il faudrait répondre, pour être complet : si on n’acceptait que les baptisés, on ne nous donnerait plus de fric.
On lit sous la plume onctueuse de M. Canteneur la phrase suivante : « Contre le risque réel de l’uniformisation des établissements et de leur recrutement, soutenons chacun d’eux par notre intérêt sincère, notre estime et notre concours. » Le risque d’uniformisation du recrutement des établissements existe-t-il ? Tout dépend de quoi on parle ! Nul besoin de citer des chiffres pour qu’on sache que si on réservait les écoles catholiques aux seuls enfants des catholiques pratiquants, il serait impossible de les remplir. Ce « risque réel » n’est donc pas celui-là.
Il doit donc s’agir du recrutement des professeurs ou des directeurs. Dans ce cas, l’objurgation de M. Canteneur ne saurait s’adresser qu’à lui-même, qui nomme (abusivement) les chefs d’établissements. Et c’est la direction diocésaine qui élimine les professeurs qui lui déplaisent, au moyens des jurys de la C.A.A.C., composés desdits chefs d’établissements désignés par le directeur diocésain, et siégeant dans les locaux mêmes de la rue des Saints-Pères ! Disons-le tout net : là, M. Canteneur se paie notre fiole.
Passons sur l’invite à soutenir les établissements par de l’« intérêt sincère » et de l’« estime ». Là encore, M. Canteneur se sermonne lui-même. Le directeur de Gerson, ou l’ancien directeur de Stanislas, savent avec quel « intérêt sincère » et de quelle « estime » ils ont été soutenus ! Rappelons que M. Gautier, prédécesseur et mentor de M. Canteneur, a montré une estime si sincère envers M. Chapellier, directeur de Stanislas, et un intérêt si sincère pour son appartement de fonction, qu’il est allé jusqu’à se nommer lui-même à sa place ! Reste le « concours » à apporter aux établissements. C’est le moment de rire. Car le « concours » de la direction diocésaine n’est qu’une longue suite d’abus, d’ingérences et d’usurpations. Elle passe son temps à faire ce que les écoles feraient elles-mêmes avec plus de légitimité et d’efficacité, et les considère comme de vulgaires succursales dont elle dispose à son gré.
Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? M. Canteneur déclare que « le visage même de Dieu est sali ». Tiens, tiens, mais par quoi ? Par le sang des martyrs chrétiens d’Orient ? Ah ! non, où ai-je la tête ? M. Canteneur voulait sans doute dire : « Le visage d’Allah est sali » ? A moins qu’il ne faille comprendre que Dieu et Allah, c’est la même chose ? Dans ce cas, M. Canteneur se rend coupable d’« association », seul péché qu’Allah lui-même, si miséricordieux pourtant, ne pardonne jamais. Heureusement pour M. Canteneur, la tartuferie n’est pas un crime : seulement un ridicule, et le ridicule ne tue pas.