En 2010, M. Mirieu de Labarre, alors secrétaire général de l’enseignement catholique, affirmait dans le Figaro que les écoles catholiques « relèvent d’une tutelle de l’Eglise ». Est-ce une erreur ou un mensonge ? Venant d’un secrétaire général de l’enseignement catholique, de surcroît ancien président de l’Apel, c’est forcément l’un ou l’autre. Voyons donc un peu ce que veut dire le mot tutelle, et ce qu’on entend par l’Eglise.
Le système d’enseignement actuel s’est organisé à partir des universités du xiie siècle, qui étaient indépendantes des évêques en vertu d’une bulle papale. D’autres écoles existaient, fondées par les évêques (écoles cathédrales, séminaires et petits séminaires), des curés, des congrégations ou des laïcs. Mais, par la suite, l’absorption du système entier se fit par le monopole universitaire décrété par Napoléon. Longtemps, le mot « université » a désigné le système scolaire secondaire et supérieur dans son ensemble, comprenant les lycées et les facultés.
Si l’on s’en tient à ces principes fondateurs, un directeur diocésain nommé par l’évêque ou un secrétaire général nommé par les évêques réunis violent la libertas academica des universités à l’égard du diocèse et les unes à l’égard des autres. Il n’y a pas de tutelle possible.
A l’époque antérieure à ce monopole public, les écoles étaient distinctes des universités. Chacune avait une liberté, une autonomie et une indépendance qu’elle n’aurait jamais dû perdre, et à laquelle, aujourd’hui encore, elle ne peut renoncer que de son propre chef. Il n’y a pas non plus de tutelle possible.
Car cette « tutelle » se donne l’air d’une simple surveillance paternelle, débonnaire et bienveillante. Mais la tutelle, c’est l’exercice de tous les droits d’une personne physique ou morale en ses lieu et place, soit qu’elle n’en jouisse plus, soit qu’elle n’en jouisse pas encore.
Et, de fait, la direction diocésaine s’arroge tous les droits qui ne sont pas livrés au ministère par les contrats. Pourtant, la plupart des écoles sont antérieures à cet organisme et ne lui ont pas fait allégeance. Tout cela repose sur un jeu de miroirs.
A l’origine, il existait un comité diocésain de l’enseignement catholique, qui n’avait qu’un rôle de conseil, d’information et de coordination, mais ni existence ni pouvoir juridique, et aucun moyen ni aucune raison d’exercer la moindre tutelle. C’était légitime. Mais pas suffisant aux yeux de certains.
C’est en 1970 que fut fondée la F.N.O.G.E.C., qui fédère toutes les O.G.E.C. Le but était de lui faire absorber la personnalité juridique et morale de toutes les écoles. Chaque O.G.E.C. était sommé de modifier ses statuts en conséquence. C’était la création d’un « service clérical unique de l’enseignement », tout-puissant et, peut-on ajouter, prêt à être intégré avec armes et bagages dans le « grand service public unique de l’éducation » prôné par M. Savary en 1984. Cette tentative a échoué.
Une méthode plus habile fut employée en 1978 avec la fondation des C.O.D.I.E.C., structures collégiales, d’apparence démocratique. Cette collégialité avait pour but de faire empiéter chaque partie prenante sur les prérogatives des autres, le tout orchestré par le directeur diocésain, secrétaire général de droit. Puis, de sa propre autorité, le C.O.D.I.E.C., chambre d’enregistrement des décisions du directeur diocésain, s’arrogea tous les pouvoirs en lieu et place de leurs titulaires légitimes. Or le fait, pour un organisme, d’être représenté au C.O.D.I.E.C., n’implique pas que les décisions de ce comité s’imposent à lui. Mais la magie de la collégialité est de dissoudre les responsabilités, ou plutôt de les digérer au profit du directeur diocésain.
Si l’établissement est congréganiste, il est sous tutelle de sa congrégation (qui répond directement au pape et non à l’évêque). S’il est paroissial, sous celle du curé (qui exerce ce droit selon le principe de subsidiarité). S’il est fondé par un laïc (qui a un devoir de communion avec son évêque, mais pas d’obéissance), sous celle de son successeur, personne physique ou morale – et, dans ce cas, ce n’est pas une tutelle mais l’exercice de droits propres.
L’Eglise, en l’occurrence, c’est tantôt le clergé séculier, tantôt le clergé régulier, tantôt un laïc. Car tout ce qui est ecclésial n’est pas clérical et encore moins diocésain. Autrement dit, il est trompeur de dire que les écoles catholiques sont sous la « tutelle » de l’Eglise, et abusif d’en conclure que l’Eglise, c’est l’évêque (et, en pratique, le directeur diocésain).
Par contre, les écoles font partie de l’Eglise, et les évêques en sont les pasteurs. Leur seule mission est de se prononcer sur le caractère véritablement catholique d’une école. Reste à faire en sorte que les directeurs diocésains, délégués de l’évêque, se contentent de cette mission. Curieusement, c’est la seule qu’ils négligent.