Chez les responsables de l’enseignement catholique, parler pour ne rien dire est une seconde nature. Ce noble art est nécessaire, mais pas suffisant. Un autre, plus subtil, promet aux plus hautes destinées celui qui le maîtrise : l’art de dire une chose tout en ayant l’air d’en dire une autre. En ce domaine, M. Balmand est un véritable maître. Un champion. Un phénomène. Une bête de foire. Pas étonnant que Mme Saliou, subjuguée, lui jette des regards enamourés.
Dire une chose en ayant l’air de dire le contraire : cet exercice acrobatique est le cœur métier de secrétaire général de l’enseignement catholique. En effet, ce poste délicat exige qu’on rassure les bons catholiques. Il y a en a qui s’étonnent de constater que le catholicisme n’est plus, dans certaines écoles sous contrat, qu’un mot décoratif, une parole en l’air. Il faut les rassurer, car ils sont les forces vives de l’entreprise : ceux qui se dévouent pour faire les crêpes de la chandeleur ou les costume en papier crépon de la fête de fin d’année. Ceux qui accompagnent les enfants à la piscine ou qui, dans une salle obscure et mal chauffée, font faire des coloriages aux rares élèves qui se sont portés volontaires pour la « pastorale ». Ils servent à tout et ne coûtent pas cher. Et, tout de même, ils sont le cœur de cible de la boutique ! Il faut éviter de se les mettre à dos.
Par contre, il faut rassurer les parents qui n’inscrivent leurs enfants à l’école catholique que pour fuir la décrépitude de l’enseignement public ou les mauvaises fréquentations qu’on risque d’y subir, mais ne voudraient pas qu’on parle à leurs enfants du Christ autrement que d’un gentil garçon qui conseille paternellement d’obéir à ses parents, de faire ses devoirs et de rester propre. On veut bien faire des sacrifices, mais pas si c’est pour que les garons finissent au séminaire et les filles au couvent, ça ne va plus !
D’autre part – et c’est peut-être le plus important – il faut rassurer le bailleur de fonds, autrement dit le ministère, et l’assurer que le fameux « caractère propre » demeure l’expression vide de sens qu’il a toujours été.
Dès son accession au poste de secrétaire général, en 2013, M. Balmand fit la démonstration de ses talents en déclarant à la Vie : « De toute façon, un projet chrétien d’éducation ne consiste pas à élever des jeunes chrétiens mais à essayer d’élever chrétiennement des jeunes. » Après un début péremptoire, « de toute façon », le propos paraît subtil. Il l’est en effet. Trop subtil, même.
Supposons qu’un professeur catholique exerce dans l’enseignement public. Son devoir de chrétien serait non pas d’enseigner le christianisme, ni même d’enseigner à la lumière de la foi, mais d’œuvrer « chrétiennement », comme tout chrétien doit le faire dans son métier, quel qu’il soit. S’il exerce dans une école catholique n’a-t-il rien à faire de plus ? Une école catholique est-elle seulement une école dont les responsables, à titre personnel, se comportent « chrétiennement », mais où personne ne s’occupe d’annoncer l’Evangile, de faire connaître la personne de Jésus ?
Et les professeurs qui ne sont pas catholiques ? On répondra qu’on peut se comporter « chrétiennement » sans être chrétien. Mais cela apporte de l’eau à mon moulin : que veut dire le mot catholique, quand il qualifie une école, s’il ne veut pas dire que les enfants qui s’y trouvent auront l’occasion de rencontrer la personne du Christ ? La rencontrer, cela veut dire découvrir l’Evangile, apprendre à connaître le message du Christ, le sens de la Passion et de sa résurrection, le contenu des sacrements, et que sais-je encore.
De quoi a-t-on peur ? Tout cela est nécessaire pour nourrir la foi de ceux qui l’ont déjà. Mais si le seul fait de découvrir ce qu’il y a dans l’Evangile suffisait à donner la foi, cela se saurait, depuis le temps. L’Evangile lui-même est une « proposition », pour reprendre un mot cher aux directeurs d’écoles sous contrat. La bonne nouvelle y est annoncée, pas imposée. Mais si c’est le catéchisme lui-même qui devient une simple « proposition », on est sûr que ceux qui ne connaissaient pas le Christ en arrivant ne le connaîtront pas plus à la sortie. Et que ceux qui le connaissaient ne le connaîtront pas mieux !
Dans ces conditions, à quoi sert l’école catholique ? A rien, sauf à suppléer, à moindre coût, le service public. Tel est le message que M. Balmand souhaite faire passer.